« Inviter en hiver la nature à passer chez soi »

Cette petite étude peinte de Jean-Baptiste Camille Corot, arrivée à l’atelier au début de l’hiver, y a invité la nature à passer. Réalisée à la peinture à l’huile sur un morceau de toile marouflé (c’est-à-dire collé) sur carton, elle surprend par ses petites dimensions (9,4 x 11,5 cm) similaires à celles d’une carte postale. Elle représente un paysage qui était alors très peu lisible à cause de la quantité de crasse présente sur la surface ainsi que du vernis très jauni.

COROT Jean-Baptiste Camille, Paysage, peinture à l’huile sur toile marouflée sur carton, 9,4 x 11,5 cm, collection particulière : vue avant traitement

La surface a été décrassée à l’aide d’une solution aqueuse d’acide citrique à pH ajusté puis rinçage avant de procéder au retrait du vernis oxydé à l’aide des mélanges de solvants (éthanol et white spirit en différentes proportions). Un nouveau vernis à base de résine Dammar a été posé par pulvérisation puis une légère réintégration picturale a été réalisée aux Gamblin® Conservation Colors pour harmoniser l’ensemble.

Retrait du vernis jauni

L’oeuvre est signée dans l’angle inférieur droit à la peinture rouge. D’après notre étude sous loupe binoculaire, la signature semble être cohérente avec les matériaux de l’oeuvre ainsi que les signatures connues de l’artiste [1].

Vue de la signature

Le traitement permet à présent d’apprécier cette petite étude peinte à sa juste valeur. La composition, redevenue lisible, représente un paysage sous couvert d’arbres avec un personnage et une étendue d’eau dont on aperçoit au loin l’autre rive.

Vue avant et après traitement

C’était une pratique fréquente de Corot de réaliser des études peintes in situ, dans la nature, puis de peindre un tableau de plus grande taille à l’atelier. Les murs et le mobilier de son atelier étaient couverts de ces petites études peintes (ROQUEBERT 1998, p.76 [2]) qui sont les esquisses d’inspiration du peintre, pour « inviter en hiver la nature à passer chez lui »  (ibid.), lorsqu’il était plus difficile de sortir dans la nature chercher son inspiration. De plus, « (…) souvent il est arrivé qu’un visiteur a réclamé l’entoilement d’études précieuses ou pliées depuis longtemps par son auteur au  fond d’un carton » (ibid. citant Robaut). Cette étude de paysage semble être une de ces études peintes, marouflée sur carton puis encadrée.

L’encadrement de l’oeuvre semble avoir été réalisé très rapidement après le marouflage de la toile sur le carton comme en attestent les bords de la toile plaqués sur le carton en périphérie, ainsi que les cloques de toile au niveau de la vue du cadre. L’apposition de la signature de manière cohérente avec la vue du cadre semble montrer que l’artiste prévoyait l’encadrement de l’oeuvre dans ce cadre. Ces observations techniques semblent indiquer qu’il s’agit d’une étude peinte réalisée sur le motif sur une toile dont le support a été modifié par la suite par le marouflage de la toile sur un carton.

Les pointillés jaunes matérialisent la vue du cadre

Il apparaît après consultation de catalogues d’exposition consacrés à Corot que ce type de paysage sous couvert d’arbres semble être assez peu fréquent dans la production du peintre qui réalise davantage des paysages avec un ciel dégagé.  Un tableau de Corot conservé au musée de l’Ermitage représentant un paysage semble présenter une nette ressemblance avec l’étude peinte. Il semble vraisemblable que notre petite étude peinte ait été utilisée comme modèle pour la réalisation de ce tableau.

COROT Jean-Baptiste Camille, Paysage avec un lac, fin 1860-début 1870, peinture à l’huile sur toile, 53 x 65,5cm, musée de l’Ermitage, Moscou [ancienne collection Yusopov]

Ce tableau, intitulé Paysage avec un lac, est daté de fin 1860 – début 1870, soit la dernière période de la vie de Corot (1796-1875). La technique observée sur l’étude peinte semble correspondre avec une telle datation. A la fin de sa vie Corot a pour pratique de peindre en laissant des parties de la préparation visibles en créant des zones de frottis où la peinture est appliquée en couche fine. Il place ensuite des touches de couleur plus épaisses pour animer la composition et créer ainsi un aspect chatoyant. Enfin, il réalise souvent le ciel en dernier (HERRING 2009, p.102-103 [3]). Ces éléments se retrouvent sur l’étude peinte,  ce qui penche en faveur de l’hypothèse qu’elle ait été utilisée comme modèle pour la réalisation de ce tableau.

Comparaison de l’étude peinte avec l’oeuvre conservée au musée de l’Ermitage. Ci-dessous vue de l’étude peinte mise à l’échelle par rapport au tableau de l’Ermitage

 

[1]  Voir les signatures de Corot dans l’ouvrage d’E. BENEZIT, 1976 et éditions plus récentes.

[2] ROQUEBERT A., Quelques observations sur la technique de Corot in Corot, un artiste et son temps, Actes du colloque, Musée du Louvre, Paris, 1998, pp.75-97

[3] HERRING Sarah, « Six Paintings by Corot : Methods, Materials and Sources », National Gallery Technical Bulletin, Volume 30, Yale University Press, 2009