Les gels sont utilisés dans de nombreux domaines de la conservation-restauration d’oeuvres d’art, depuis la peinture murale. les textiles, les objets archéologiques, le papier, en passant par l’art contemporain et la peinture de chevalet. Une conférence de trois jours, intitulée « Gels in Conservation », organisée par les deux institutions anglaises International Academic Projects (IAP) et la Tate, a eu lieu au Centre Emmanuel à Londres les 16, 17 et 18 octobre 2018. Restaurateurs, scientifiques de la restauration et d’autres domaines, et étudiants étaient présents en ayant pour seul but de discuter de la théorie et de la mise en pratique de l’usage des gels en restauration du patrimoine (le programme, c’est par ici).
Et oui, car les gels sont si polyvalents et multiformes qu’ils ont la capacité de s’adapter à toutes sortes de surfaces, et ce pour de multiples objectifs ; nettoyer une surface, faire changer les propriétés physico-chimiques d’un matériau pour le retirer, ou le rendre plus durable.
De nombreux axes explorant de nouveaux et de nouvelles technologies ont été parcourus lors de ces trois jours passionnants.
Nous avons eu la chance d’être sélectionnés pour présenter notre recherche sous forme d’un poster. Il est intitulé en français « Évaluation statistique de mesures de la rugosité de surface pour évaluer le décrassage à l’aide d’hydrogels rigides d’une peinture à l’huile empâtée non vernie » (en anglais « Statistical evaluation of surface roughness measurements to evaluate rigid and mouldable hydrogels for cleaning unvarnished oil paint with heavy impasto »), et a été co-écrit avec Pauline Hélou-de La Grandière, Marine Page et Sigrid Mirabaud. Cette recherche avait pour objectifs de tester le potentiel de plusieurs gels qui sont de plus en plus utilisés aujourd’hui, mais encore peu connus hier, appelés « gels rigides », pour nettoyer des surfaces peintes en fort relief et encrassées.
Comment avons-nous évalué cela ? Avec une technique de pointe appelée « microtopographie », c’est-à-dire la mesure de la topographie à l’échelle microscopique, si petite topographie que l’on parle de « rugosité ». Cette technique permet de mesurer, à l’échelle microscopique, des changements de reliefs -on parle de « creux » et de « vallées »- pour par exemple retrouver des gravures, eh bien, par exemple préhistoriques, pour les visualiser en 3D, et ainsi les étudier. Nous avons un peu détourné cette technique pour pouvoir évaluer la présence de particules de poussière et de crasse (bref, ce qui est sale sur la surface) avant et après utilisation de nos gels rigides.
Et, en associant la microtopographie (images STIL® ci-dessus), qui nous permettait de mesurer la présence des particules de saleté à la surface, avec des images en microscopie 3D (images HIROX® ci-dessus), qui nous a permis de voir la surface, nous avons pu déterminer l’efficacité de nos gels.
Quels gels ? Nous avons testé deux types de gels dits gels « rigides » de par leurs propriétés physiques. Stricto sensu, la définition d’un gel rigide est « qui n’est pas soumis à l’écoulement » ; dans les faits, ces gels, une fois posés sur une surface, ont la capacité de prendre la forme de celle-ci, et de la garder (plus ou moins longtemps pour certains). Nous avons testé un gel constitué d’agarose, qui est un des composés de l’agar utilisé en cuisine, et un gel constitué d’alcool polyvinylique et d’acide borique, matière plus connue depuis peu sous le nom de pâte « Slime » dans les rayons de jeux pour enfants. C’est cette pâte gluante, préparée par nos soins, et sans les colorants fluos, que nous avons testée pour nettoyer la surface de nos éprouvettes.
Avec tout ça, nous n’avons pas encore pu vous dire ce que nous avons nettoyé. Il s’agissait d’empâtements de peinture à l’huile ; en effet, les empâtements de peinture présentent de forts reliefs dans lesquels la poussière peut se déposer, et être complexe à retirer. C’est pourquoi nous avons trouvé que l’idée de nettoyer ces empâtements avec un gel qui se conforme précisément à leur surface irrégulière était intéressante à explorer.
Voilà, et au final, qu’en est-il ressorti ? Eh bien, la microtopographie et la microscopie ont montré que nos gels rigides avaient nettoyé la surface, mais pas suffisamment, comparé à un outil fréquemment utilisé, un embout de coton humidifié. Et cela, on pouvait s’y attendre ! En effet, ces deux moyens de nettoyer ont des systèmes d’action très différents. Ce qui est en revanche très intéressant, est d’avoir pu le démontrer à l’échelle microscopique, et ce de manière quantitative (par la mesure microtopographique), et qualitative (par l’observation microscopique) pour nous confirmer que oui, le nettoyage a bien eu lieu.