Dans les premières années du XXème siècle, Alexis Mérodack-Jeaneau (1873-1919) a utilisé une technique très innovante, la peinture au tube, dont la modernité est remise à l’honneur par l’exposition rétrospective Alexis Mérodack-Jeaneau, en quête de modernité du 11 mai au 3 novembre 2019 au musée des Beaux-Arts d’Angers décrite dans La Tribune de l’Art. Cette technique qui n’a pas d’équivalent du vivant de l’artiste présente des types d’altérations souvent inédits, qui ont demandé une recherche de plusieurs années tant sur la connaissance des matériaux que pour le développement de nouvelles techniques de restauration. Ainsi, une étude de la technique utilisée, enrichie par un mémoire de fin d’études en restauration à l’Institut national du patrimoine en 2016, a été suivie d’une ambitieuse campagne de restauration d’oeuvres significatives conservées au musée des Beaux-Arts d’Angers en collaboration avec Pauline Hélou-de La Grandière et avec le soutien scientifique du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) à Paris et du Getty Conservation Institute à Los Angeles.
Ces recherches ont permis de retracer le « profil technologique » d’Alexis Mérodack-Jeaneau, de la technique classique de ses oeuvres de jeunesse à l’incroyable usage qu’il fait de la peinture en matière, où il s’affranchit audacieusement du pinceau pour sortir la matière colorée directement du tube sur la toile. Très rares sont ceux qui ont utilisé la peinture à l’huile de cette façon aussi tôt dans le XXe siècle, et de ce point de vue, Mérodack-Jeaneau possède un demi-siècle d’avance sur son temps. Regarder la matérialité des œuvres en considérant ses innovations technologiques révolutionnaires nous permet de replacer Mérodack-Jeaneau à la place qu’il mérite au sein des avant-gardes du début du XXe siècle.
L’usage par Mérodack-Jeaneau de matériaux manufacturés tels que la peinture en tube a entraîné des altérations spécifiques, motivant une réflexion pour la restauration des oeuvres datées de 1910-1913 qui ne pouvaient pas être traitées de façon conventionnelle. Les altérations principales sont localisées sur les empâtements : la peinture se craquèle et se détache peu à peu de la toile (défaut d’adhésion), la matière perd de son corps et se disperse en poudre (pulvérulence), des petits cristaux à l’échelle microscopique se développent en surface en la blanchissant (efflorescences). Enfin, la matière se fragilise et devient sensible à l’eau ; plusieurs couleurs à l’huile (bleus outremer et de cobalt, rouge vermillon, jaune de chrome) normalement hydrophobes, sont devenues solubles dans l’eau, et donc fragiles à l’humidité.
Les interventions de conservation-restauration qui ont précédé la présentation des œuvres au public ont pris en compte les caractéristiques propres à Mérodack-Jeaneau pour garantir un traitement de qualité, dans le respect de l’intention de l’artiste et de la pureté de son oeuvre. Elles ont été réalisées dans l’atelier du musée des Beaux-Arts ainsi qu’aux ateliers du C2RMF à Versailles.
Un court-métrage, réalisé par Céleste Rogosin, a permis de mettre en images et en mouvement la reconstitution de la technique de la peinture au tube.
Les résultats de ces recherches ont été présentés à différents colloques : « Futurahma » à Pise, « Gels in Conservation » à Londres et « Cleaning Modern Oil Paints » au Rijksmuseum Amsterdam, participations qui ont donné lieu à plusieurs publications dans des ouvrages de référence.
Nous avons également présenté nos recherches lors d’une conférence donnée à l’auditorium du musée d’Angers le 3 octobre 2019 pour illustrer le chapitre du catalogue de l’exposition consacré à notre projet : Hélou-de La Grandière Pauline, Graczyk Agata, Les techniques d’Alexis Mérodack-Jeaneau vues par ses restauratrices, “Alexis Mérodack-Jeaneau (1873-1919), en quête de modernité”, sous la direction de Christine Besson, musée des Beaux-Arts d’Angers, Setig-Abelia, Beaucouzé, 2019, pp. 199-211.
Nous remercions Christine Besson, conservateur en chef du patrimoine, qui a permis cette étude particulièrement poussée, avec un enthousiasme constant, ainsi qu’Alan Phenix (Getty Conservation Institute), Gilles Barabant et Nathalie Balcar (C2RMF), Sigrid Mirabaud (Inp), pour leur expertise scientifique et technique, Jean-François Hulot et Marie-Odile Hubert pour leur expertise et soutien technique, et Thorsten Greve (Pixel à l’oeuvre) pour les photographies.